
Portraits

Ce qui surprenait dans son visage hilare, c'était son regard, dont l'intensité, comme freinée, changeait à toute allure. Sa chevelure épaisse, sombre, embroussaillée par le vent, son menton en guidon de vélo lui donnait une allure de fonceur,
sa bouche crispée sans effort fermait d'un trait sinueux sa face lunaire. Un nez épaté et sensuel captait les effluves de l'air. Sa peau halée presque tannée, tendue sur les pommettes, dégageait deux oreilles géantes et découpées comme des feuilles de choux grêlées. Entre attirance et répulsion ce profil étrange ouvrait la route aux plus aventureux.
Simone
Michèle était ma mère, je l’appelais la carte-mère.
Sa mémoire prodigieuse semblait toute entière contenue dans l’énorme cervelle qui couronnait de manière étonnante un visage somme toute assez banal pour une femme de son âge, et qu’elle ne cherchait pas à enjoliver par le moindre artifice.

Ses yeux froids et rationnels semblaient analyser ses patients avec une rapidité d’ordinateur, scrutant les visages pour les enregistrer aussitôt dans sa base de données, que l’on devinait codée en mode binaire.
Jamais le moindre bug. Elle nous élevait à la Powerpoint, ses ordres étaient énoncés sous forme de bullet points qu’il convenait de sauvegarder dans notre serveur personnel et jamais, au grand jamais, sous forme collaborative.
Le visage de Michèle portait à la sérendipité : on y trouvait toujours ce qu’on ne cherchait pas, j’avais une mère Google. Si l’on voulait déclencher un sourire, on obtenait un regard inexpressif et méprisant, d’une neutralité effrayante ; tandis que la moindre tentative de provocation entraînait la corruption totale du disque dur. Il fallait relancer le système d’exploitation pour qu’elle redevienne un humain doté d’une expression de vie, dans lequel le logiciel maternel fonctionnait encore. Je voulais souligner ainsi sa police de caractère.
Corinne